En se penchant sur les rites amoureux et les codes de séduction des peuples du monde, les anthropologues et ethnologues occidentaux ont découvert que, d'un pays à l'autre, ils changent selon d'infinies variations.
S'il est un domaine où la mondialisation n'uniformise pas, c'est bien dans le registre des relations amoureuses !
Ainsi, comme nous le rappelle l'anthropologue Vaughn Bryant, "un acte en apparence aussi élémentaire que le baiser sur la bouche est ignoré d'une partie de la planète : les Inuits et certaines tribus du Pacifique préfèrent s'enivrer des parfums secrétés par les glandes de la peau en se frottant le nez contre le visage de leur partenaire".
De Bougainville à Gauguin, jusqu'à Alexandre Jardin, combien d'hommes ont nourri nos imaginaires de sensualités exotiques ?
Même si, comme nous le rappelle Mircea Eliade, toutes les cultures reposent sur le mythe du paradis perdu, notre intérêt pour la liberté d'expression des corps dans de nombreuses cultures exotiques ou primitives témoigne des silences et interdits que le christianisme a fait peser sur la nôtre…
Pour Jean-Pierre Otto, l'Occident a beaucoup à apprendre du reste du monde et notamment des sociétés primitives dans lesquelles il y a selon lui "une approche, plus lente de l'autre, plus fine, et où la sexualité est toujours investie de sensualité".
Sensualité, ou l'art d'éveiller les sens au plaisir comme chez les Mendis, en Nouvelle-Guinée, qui aiment se retrouver dans une case dont le sol est couvert de flocons de canne à sucre mâchée. Assis sur le sol, ils se frôlent délicatement en s'accompagnant de chants, puis lentement le rythme s'accélère jusqu'à l'enlacement.
Au Nord, les Inuits, bien au chaud dans leur igloo, préfèrent s'enduire le corps de graisse de phoque. Une fois les ébats terminés, ils se laveront à l'urine.
La séduction a partout sa place et partout des critères différents. Selon les peuples, elle se concentre sur un, plusieurs ou sur l'ensemble des sens.
Ainsi, une scarification sur le ventre de la jeune fille Sara (tribu nomade du Tchad) dont la plaie, saupoudrée de cendres, prendra du relief en cicatrisant, deviendra un motif à la fois esthétique et érotique destiné à troubler les regards. Au Sénégal, le petit pagne ou « bethio » remporte tous les suffrages, y compris chez les jeunes femmes les plus modernes. Entre copines et cousines, elles se réunissent pour danser et désigner celle qui a la plus belle parure sous les regards intéressés des percussionnistes. Un parfum concocté à partir d'encens ainsi qu'une ceinture de perles s'ajoutent pour ravir les nez et titiller les oreilles.
Ailleurs, on privilégie certaines boissons pour parfumer sa transpiration, on se blanchit la peau comme le font les jeunes filles indonésiennes. On se couvre de tatouages, on offre à l'homme un aperçu de ses fragrances intimes comme chez les nomades Noubas, au sud du Soudan, qui organisent chaque année une danse rituelle au cours de laquelle, vêtue d'une ceinture tressée, les jeunes femmes choisissent un compagnon en posant la jambe sur l'épaule de celui-ci, lui adressant ainsi un message olfactif.
Autant de rites pour séduire les sens et les éveiller, et dans cette diversité une constante : la sensualité.
Ici comme ailleurs, le mythe originel de la culture imprègne bien souvent les rites amoureux. S'il est difficile de déterminer de quelle façon la rencontre d'Adam et Ève influence encore les amours chrétiens, dans les îles Banks ou en Malaisie, les parades amoureuses miment encore la création du monde. Au son du pipeau, les peuples réinterprètent la danse à laquelle Dieu les invita en les créant.
Les Maoris vivent, quant à eux, au rythme du mythe selon lequel l'amour initie à des parties inconnues de soi-même. Chez ce peuple, où l'expression du désir est extrêmement riche, faire l'amour avec des partenaires différents, c'est donc apprendre à devenir soi-même.
En manque d'imagination ? Demandez à ces tribus du nord de la Nouvelle-Guinée de vous parler de leur catalogue des soixante-dix programmes amoureux et sensuels. Transmis oralement depuis la nuit des temps, ces programmes viennent pimenter leurs amours ; pour décider de celui qu'ils mettront en pratique, les deux amoureux potentiels doivent tomber d'accord au cours de discussions qui peuvent durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Hommes et femmes peuvent pratiquer des parties différentes du programme avec des partenaires différents.
Changer de mari pour les femmes qui se considèrent mal mariées ?
Une tribu du Niger le propose au cours d'un concours de beauté masculin qui se déroule à la fin de la saison des pluies. Les hommes, travestis, se maquillent en femmes et s'élancent dans une danse devant un jury uniquement composé de femmes. Montrant leurs dents dans un sourire figé, écarquillant les yeux pour qu'on en aperçoive le blanc, signe de bonne santé, cette fête peut durer six jours et six nuits.
Preuve de la diversité et des étrangetés culturelles, certains peuples survivent en pratiquant des rites amoureux étonnants. Ainsi, chez les Kalash, au Pakistan, hommes, femmes et enfants se travestissent au cours de la fête Chamos et se livrent à un tournoi d'insultes sexuelles. C'est la période d'abstinence hivernale et le « langage de la bite » disent les Kalash sert à resserrer les liens et à régénérer les forces vitales.
On trouve chez de nombreuses ethnies d'Océanie et d'Afrique noire un mythe selon lequel le monde aurait été créé par des humains qui, à l'aide de cordes et de poulies, auraient séparé le ciel et la terre, conférant à leurs héritiers la mission de les réunir à nouveau en s'unissant par l'amour.
Amour comme alliance cosmique rappelant le Banquet de Platon et l'union parfaite de ces êtres dont Zeus punit l'insolence en les coupant en deux, marquant ainsi nos consciences au fer rouge du mythe de l'âme sœur.
L'autre mythe qui a marqué profondément nos mœurs, c'est celui de Noé qui en rejetant toute animalité sur les bêtes a coupé la parole à nos corps, déjà meurtris par le péché originel.
Si pour les Grecs, la passion est une aliénation, pour les Romains, un homme amoureux est considéré comme faible.
Pour le christianisme, l'amour trop ardent est un péché.
Jusqu'au XVIIIe siècle, la population est essentiellement rurale et les femmes restent des objets de transaction dans les mariages arrangés. Pourtant, dès le XIIIe siècle, on célèbre déjà la Saint-Valentin, fête du valentinage, du solstice d'été ou encore fête de mai, période pendant laquelle les épouses peuvent se jeter au cou de leur galantin ; ces fêtes permissives accordent un espace ponctuel où les règles peuvent être transgressées et où le plaisir peut pour un temps s'épanouir. Cette coutume, venue du nord, sera réprimée par l'église et la morale bourgeoise pour ne plus tolérer qu'un adultère sentimental à l'orée de la période romantique.
Le siècle des Lumières, qui fait revenir le corps et ses désirs au premier plan, va donner l'impulsion au processus d'individualisation. Avec la révolution de 1789, le puritanisme bourgeois succède au libertinage aristocratique, et avec lui, le romantisme va porter les sentiments aux nues.
Le XXe siècle marquera la naissance de l'alliance du mariage et de l'amour romantique.
Jusque dans les années cinquante, lorsqu'une demoiselle plaît à un monsieur, celui-ci lui fait la cour suivant un rite social très codifié avec la panoplie de cadeaux, de compliments et de propos romantiques. S'il se sent perdu, l'Église met à sa disposition un bréviaire qui lui indique la marche à suivre.
"L'imagination au pouvoir" scandera la révolution sexuelle quelques années plus tard.
La démocratisation de la contraception avec la pilule sonne le glas de l'amour chrétien et agricole ; la sexualité s'émancipe de la procréation, nos rites amoureux vont s'en trouver bouleversés.
La révolution sexuelle et l'émancipation féminine sont passées par là, l'art de la conquête à l'aube du XXIe siècle est devenu subtil et complexe.
Grâce aux diverses possibilités de contraception et à leur démocratisation, la sexualité sert davantage à resserrer les liens affectifs.
Exit la drague, née de la société de consommation et de la libération des mœurs, exit l'esbroufe, l'heure est à la séduction. Alors que le laps de temps s'était extrêmement réduit entre la rencontre et le passage à l'acte, le flirt « nouveau » réintroduit de la durée pour que séduction et fantasmes puissent exister.
Si la séduction semble moins sexuelle, chacun est clairement sexué. Les adolescentes se parent de vêtements près du corps et tout en transparence, en prenant soin d'éviter la vulgarité ; leurs corps se dévoilent laissant apparaître bijoux et tatouages ; de leur côté, les garçons utilisent davantage produits de beauté et parfums, et s'adonnent au shopping.
La démocratisation d'Internet multiplie les occasions de rencontres et révolutionne l'art épistolaire, c'est le retour du billet doux, mais celui-ci est plus humoristique et suggestif que romantique.
Après la révolution sexuelle et la transgression des tabous, les femmes ont acquis une nouvelle liberté de parole et d'attitude, ce qui leur ouvre de nouvelles possibilités de séduction, la beauté n'est plus le seul faire-valoir ; elles ont acquis leur indépendance économique, balayant dans l'élan le pilier sur lequel l'homme se reposait.
La libération sexuelle a compliqué la donne, désormais, on s'observe, on s'effleure en laissant planer le doute, on rit en cultivant l'ambiguïté et l'incertitude.
Pour Boris Cyrulnik, éthologue et psychiatre, "la nouvelle valeur de séduction est l'intelligence au sens large, fini le tape-à-l'œil, l'heure est à la délicatesse et au raffinement".
Les fêtes et dîners entre amis sont les terrains intimes où peut s'exercer la séduction, à ces occasions, les femmes n'hésitent plus à engager la conversation. Cependant, en France et en Corse, aujourd'hui, c'est toujours l'homme qui propose et la femme qui dispose, laissant à l'homme le soin de faire le premier pas.
Si les rites amoureux se transforment, les 18-35 ans sont 83 % à voir dans le mariage un engagement pour la vie dont la première motivation est l'amour (étude BVA, janvier 2005).
Héritiers à la fois des Lumières et des romantiques, individualistes souffrant de "solitude existentielle" nous voici épris d'amour dans une société dépolitisée et dépassionnée, enfants de la libération sexuelle, encore engoncés dans des corps dont la sensualité reste freinée par de nombreux tabous, nous voici, alchimistes de nouveaux rites amoureux.
Des chats au speed dating, dans les sociétés industrialisées, jamais le nombre de célibataires n'a été si important.
Si chaque pays possède ses particularités amoureuses, certains rites s'internationalisent.
L'heure est au speed dating, à « l'amour-Internet », aux sms et aux obligations de la Saint-Valentin.
New York, capitale mondiale des célibataires, est également la capitale du blind date, rendez-vous à l'aveugle organisé par des amis communs.
Marque d'une civilisation pragmatique qui refuse la fatalité du célibat, le blind date est l'antidote à l'incertitude des petites annonces et à la difficulté de la rencontre.
Tokyo détient le record du nombre d'agences de rencontres avec 5 000 agences.
À Tokyo comme à Québec, les femmes prennent de plus en plus les choses en main devant l'apathie de la gent masculine.
Partout, Internet et ses sites de discussions, ses sites de rencontres et ses chats, gagne du terrain. Chaque jour, des centaines de milliers de personnes de nationalités différentes tentent le choc des cultures en se rencontrant virtuellement et elles sont de plus en plus nombreuses à passer le cap du virtuel pour se rencontrer réellement. Rencontres qui deviennent autant de nouvelles occasions de voyages et qui, parfois, se transforment en histoires d'amour.
Saviez-vous que le blaireau, animal monogame doit chaque année reconquérir sa compagne au printemps ? Nature ou culture ?
Pour Diderot, "il y a un peu de testicules au fond de nos sentiments les plus sublimes et de nos tendresses les plus épurées".
Les "amours primitifs", nous rappellent l'intérêt central du sexe, puisque, ainsi que l'explique Malinowski, "il structure vie sociale, religieuse et matérielle.
Première leçon : même dans les sociétés les plus licencieuses en apparence il y a des règles, des tabous interdisant l'accès à un certain type de partenaires. Le sexe n'est ni sale, ni obscène, il est central".
Nos religions monothéistes, pour s'imposer, ont prétendu le contraire, coinçant nos corps et abîmant nos esprits dans la culpabilité et la honte.
Preuve de la multiplicité des mondes qui se côtoient, aujourd'hui encore, deux millions de femmes subissent chaque année l'excision pour des motifs religieux.
Si l'essentiel des mariages sur terre sont encore arrangés, l'individualisation de nos sociétés pousse aujourd'hui l'homme et la femme à se réaliser pleinement ce qui entre en contradiction avec l'idéal romantique de la fusion amoureuse. Vivre ensemble tout en continuant d'exister pleinement en tant qu'individus différents, voici le défi que nous propose de relever la crise de la conjugalité et l'explosion du nombre des divorces dans nos sociétés.
Les nouveaux rites amoureux s'inventent en ce moment même et progressivement nous revenons sur nos rigidités culturelles : fidélité sexuelle, jalousie et possessivité sont autant de comportements hérités de nos cultures agricoles.
Dans nos sociétés de plus en plus virtuelles, ces schémas rigides auront-ils toujours raison d'être ?
Bientôt nous vivrons en bonne santé jusqu'à cent-vingt ans, continuerons-nous de souhaiter partager notre vie avec une seule personne ?
La communauté gay ouvre la voie des amours de demain avec les grandes fêtes païennes et populaires que sont devenues les Gay Pride au cours desquelles, hétérosexuels, transsexuels et homosexuels convoient ensemble dans une ambiance internationale chaleureuse, amoureuse et festive.
L'homosexualité encore condamnée par de nombreuses religions, gagne chaque année en légitimité et s'approprie les formes de romantisme et de conjugalité de l'hétérosexualité.
Le développement du tourisme international ou la mondialisation ne réduiront pas la diversité des rites amoureux, ils en multiplieront sans doute le nombre.
C'est la mondialisation de la contraception qui, petit à petit, bouleverse chaque culture en libérant la femme de l'emprise patriarcale, en même temps qu'elle libère la sexualité de l'emprise de la procréation.