Au cœur du nord du Chili, à plus de 2 300 mètres d’altitude, s’étend le Salar d’Atacama, vaste désert de sel couvrant plus de 3 000 km². Situé au pied de la cordillère des Andes, il est bordé par des volcans majestueux comme le Licancabur. Ce paysage minéral extrême, parmi les plus arides au monde, fascine autant par sa beauté que par sa complexité environnementale et humaine.
Avec ses lagunes turquoise, ses crôutes salines craquelées, son silence absolu et ses jeux de lumière, le salar est devenu un lieu emblématique pour les voyageurs en quête d’ailleurs. Il attire aussi les scientifiques, les astronomes et les industriels. C'est un terrain où se croisent passé précolombien, modernité technologique et enjeux écologiques majeurs.
Le Salar d'Atacama s'est formé dans une dépression endoréique, sans débouché vers la mer. Pendant des millions d'années, les eaux chargées en minéraux y ont stagné puis se sont évaporées sous l'effet du climat extrêmement sec, laissant derrière elles des dépôts massifs de sel, de bore et surtout de lithium. Sous la surface se trouvent des saumures riches en minéraux, qui alimentent aujourd’hui une industrie très convoitée. Le Salar d'Atacama concentre à lui seul près de 25% des réserves mondiales exploitables de lithium. Ce "pétrole blanc", crucial pour les batteries de nos appareils électroniques et véhicules électriques, fait du salar un centre névralgique géopolitique et économique. Mais cette extraction consomme énormément d'eau, dans une région où chaque goutte compte. Les équilibres écologiques et sociaux sont fragilisés, alimentant un débat sur la durabilité de cette filière verte.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le Salar d’Atacama n’est pas un désert sans vie. Autour de ses lagunes, comme Chaxa, Miscanti ou Miñiques, prolifèrent des colonies de flamants roses, principalement les flamants des Andes, du Chili et de James. Ces oiseaux majestueux se nourrissent de micro-organismes et trouvent ici un habitat protégé. Des renards andins, des vigognes et des viscaches peuplent également les alentours. La flore, bien qu’éparse, présente des spécimens résistants comme la llareta (une plante verte compacte qui pousse très lentement) ou les cactus candelabres. C’est une biodiversité discrète mais adaptée aux conditions extrêmes. Les peuples autochtones, notamment les Atacameños (ou Lickanantay), vivent dans cette région depuis plus de 10 000 ans. Leur culture est intimement liée au désert : agriculture en terrasses, élevage de lamas et alpacas, traditions orales, rites chamaniques et art rupestre. Leurs villages, comme San Pedro de Atacama, témoignent de cette adaptation à un environnement hostile. Aujourd’hui encore, les communautés autochtones revendiquent leurs droits sur les territoires du salar et participent aux décisions concernant l’extraction des ressources naturelles. Entre traditions ancestrales et modernité, leur voix est essentielle dans la préservation de cet écosystème fragile.
San Pedro de Atacama, à proximité immédiate du salar, est le point de départ idéal pour les explorations. On peut y visiter les lagunes altiplaniques, la vallée de la Lune, les geysers d’El Tatio, et bien sûr le salar lui-même. Les paysages sont spectaculaires au lever et au coucher du soleil, lorsque les couleurs changent d’un rose pâle à un orange éclatant. Il est recommandé de passer quelques jours à s’acclimater à l’altitude et de bien s’hydrater. Les excursions peuvent se faire en 4x4 ou à vélo pour les plus aventureux. La nuit, ne manquez pas une séance d’observation astronomique : le ciel du désert d’Atacama est l’un des plus clairs au monde, prisé par les astronomes professionnels et amateurs. Il est si pur que des télescopes géants comme ALMA (Atacama Large Millimeter Array) y ont été installés. Certaines nuits, on y voit la Voie lactée comme un ruban lumineux, et des dizaines de constellations sont visibles à l’œil nu.
Le Salar d'Atacama est un des rares endroits sur Terre où l'on peut voir des "déserts de pénitents". Ces formations naturelles de glace ou de neige, aussi appelées nieves penitentes, prennent la forme de lames verticales effilées, pouvant atteindre jusqu'à 5 mètres de haut. Leur nom vient de leur ressemblance avec des moines encapuchonnés en procession. On les trouve à très haute altitude, au-dessus de 4 000 mètres, sur certains versants exposés au soleil. Ils se forment par un processus de sublimation : au lieu de fondre, la neige passe directement de l'état solide à gazeux sous l'effet du rayonnement solaire intense et de l'air sec. Les irrégularités de surface créent des micro-ombres, accentuant les différences de sublimation, et sculptent ces pics acérés au fil du temps. Dans certaines zones du Salar ou de ses abords, notamment en direction du volcan Llullaillaco, les pénitents créent un paysage digne de la science-fiction. Ils posent aussi de véritables défis pour les alpinistes, qui doivent naviguer dans ces forêts glacées aux allures de pièges naturels. Les scientifiques s'y intéressent également : comprendre leur formation aide à étudier les climats extrêmes et même à modéliser des environnements extra-terrestres, comme la surface de Mars. Charles Darwin les avait déjà observés en 1835, les décrivant comme "des figures d’une rigueur mystique, debout dans le silence des hauteurs". Aujourd’hui, ils rappellent que même dans le monde minéral, des formes éphémères peuvent émerveiller autant qu’intriguer.
Enfin, le Salar est régulièrement utilisé par la NASA et d’autres agences pour tester des robots destinés à Mars, tant ses conditions ressemblent à celles de la planète rouge.
Le Salar d’Atacama est bien plus qu'un désert de sel. C'est un concentré de contrastes : entre vie et minéralité, entre traditions et innovation, entre beauté naturelle et tension écologique. Du fond de ses lagunes jusqu'à ses pics de glace fantomatiques, il incarne toute la complexité des déserts d'altitude et leur fascinante résilience.
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