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22 juillet 2025

Voyage : L’Alsace, ce murmure qui reste

 






  Départ de Nice aux aurores, valise à la main, cœur encore un peu engourdi par le manque de sommeil mais déjà tourné vers le Nord-Est. Direction l’Alsace. Une terre de maisons à colombages, de cigognes sur les toits, de vins blancs parfumés, et de souvenirs à créer. Le trajet est une aventure en soi. On traverse d’abord l’Italie, brièvement, juste ce qu’il faut pour sentir un changement de décor, puis la Suisse italophone, avec ses paysages alpins à couper le souffle et ses panneaux bilingues qui me donnent l’impression d’avoir changé de pays trois fois en une matinée. La traversée de la Suisse, ensuite, déroule un ruban de montagnes, de tunnels sans fin et de lacs paisibles. Une respiration avant d’arriver en Alsace, comme si le voyage lui-même voulait me préparer à la beauté des jours à venir. En fin d’après-midi, j’atteins enfin Ostheim, mon point de chute. Un petit village au nom discret mais à l’histoire marquée : rasé presque entièrement pendant la Seconde Guerre mondiale, Ostheim porte encore les traces silencieuses de ses blessures passées. Il n’en reste qu’un seul mur d’époque, érigé en mémorial, comme pour rappeler à chaque passant le prix de la paix. Mais la vie a repris ses droits ici, et tout en haut de ce mur, des cigognes ont fait leur nid. Comme une réponse poétique à l’Histoire, elles veillent désormais sur le village depuis les cieux, symboles d’espoir et de renouveau. C’est peut-être un détail, mais ça m’a marqué. On dirait que les lieux n’oublient rien, mais pardonnent doucement. Installation à l’hôtel "Au Nid des Cigognes", dont le nom semble s’être imposé de lui-même tant il colle à l’ambiance locale. L’accueil est très chaleureux, comme un bon vin servi sans chichis. Le dîner est copieux, les saveurs alsaciennes commencent doucement à se faire une place dans mon estomac, et dans mon cœur.

  La nuit tombe doucement sur Ostheim. Les cigognes dorment, moi aussi. Mais demain, l’Alsace continue.


  Le réveil se fait tout en douceur, bercé par le silence du village et l’air frais venu des vignes toutes proches. Au petit déjeuner, je découvre une spécialité locale : une brioche alsacienne légère et dorée, accompagnée d’un verre de jus de pommes bien frais. Rien de compliqué, mais tout y est : le goût de l’authentique, du vrai. Cap ensuite sur Riquewihr, une perle médiévale posée au cœur des vignes. C’est un village droit sorti d’un livre d’images : ruelles pavées, maisons à colombages colorées, enseignes en fer forgé qui dansent au vent, et partout l’odeur du pain chaud, du vin et du bois ancien. On y sent l’Histoire dans chaque pierre. Riquewihr a été épargnée par les ravages de la guerre, et cela se voit. On a l’impression que le temps s’est arrêté au XVIe siècle, le tout bercé par une lumière douce qui fait briller les tuiles rouges comme des écailles de dragon endormi. Je flâne, je regarde, je m’imprègne. Puis la route m’emmène vers Kayserberg, nichée dans une vallée verdoyante. Ici aussi, le charme opère immédiatement. Un petit pont en pierre enjambe une rivière qui murmure doucement, et les maisons aux toits pentus semblent se pencher pour mieux l’écouter. Kayserberg, c’est l’Alsace dans ce qu’elle a de plus intime, de plus profond. On y marche en silence, presque respectueusement, comme dans un musée à ciel ouvert. J’y découvre aussi un bout d’histoire : c’est la ville natale d’Albert Schweitzer, médecin, philosophe et prix Nobel de la paix, dont la maison est aujourd’hui un musée. Un moment de recueillement dans cette ambiance feutrée, presque sacrée.

  Mais le moment fort du midi, c’est une révélation gastronomique : ma toute première choucroute ! Le plat arrive fumant, garni de saucisses, lard, chou longuement mijoté dans le vin blanc, pommes de terre fondantes... Une symphonie d’arômes. Un vrai délice, inattendu, réconfortant. Le genre de plat qui vous parle en alsacien dès la première bouchée.

  L’après-midi, je change complètement d’ambiance avec la visite du Naturoparc, un espace dédié à la faune locale. C’est calme, éducatif, agréable, et surtout rempli de cigognes. Elles sont partout. Majestueuses, perchées sur leurs grands nids en hauteur, elles observent le monde avec une lenteur pleine de sagesse. Certaines marchent avec élégance entre les enclos, d'autres se lavent ou dorment au soleil. Ce sont les vraies reines d’Alsace, et les voir si proches me fascine. On les sent à la fois familières et lointaines, symboles vivants d’une région qui a su protéger sa nature autant que son âme. Longtemps menacées, elles sont aujourd’hui revenues grâce à des programmes de réintroduction. Et quand elles s’envolent, ailes grandes ouvertes, c’est tout le ciel qui semble leur appartenir.

  Retour à Ostheim, le cœur encore rempli d’images et de parfums. Un dîner simple à l’hôtel, un dernier regard vers les nids sur les toits, et la nuit m’emporte doucement.

L’Alsace, décidément, ne fait rien à moitié.


  Troisième jour alsacien. Au petit déjeuner est devenu un rituel rassurant :pain chocolat, jus de pommes clair comme un matin d’automne, et toujours ce calme apaisant dans l’air. Je commence à m’y faire, à cette douceur locale. On s’y attache vite. On prend la route vers Obernai, joyau du piémont vosgien, aux charmes tranquilles mais profonds. Ici, les maisons à colombages se serrent les unes contre les autres comme pour se tenir chaud, les balcons débordent de géraniums rouges et l’ensemble a des allures de décor de conte. La place du marché est splendide, dominée par l’élégante tour de l’horloge et bordée de terrasses animées. On sent que la ville a une âme : commerçante, joyeuse, mais fière de ses racines. C’est l’Alsace des traditions, bien vivante, où l’histoire est partout mais ne pèse jamais. Puis, cap vers Strasbourg, la grande dame d’Alsace, capitale européenne, mais aussi véritable condensé d’histoire et de culture. La ville m’accueille avec l’effervescence d’un samedi ensoleillé : ruelles pleines de monde, terrasses animées, odeurs de bretzels, tramways qui glissent doucement au fil des boulevards. Je commence par le cœur battant de la ville : la cathédrale Notre-Dame. Impossible de ne pas rester bouche bée devant cet immense vaisseau gothique qui semble taillé dans une pierre rouge venue d’un autre monde. Sa flèche unique, fine et élancée, perce le ciel comme une prière figée dans la roche. À l’intérieur, la lumière filtre à travers les vitraux comme une bénédiction silencieuse. Et puis il y a l’horloge astronomique, chef-d’œuvre mécanique qui fascine autant qu’elle désoriente. Tout ici est mystère, grandeur, silence et vertige. Je poursuis à pied vers la Petite France, ce quartier de carte postale avec ses canaux, ses ponts fleuris, ses maisons médiévales qui se reflètent dans l’eau. Le calme y est presque irréel, comme suspendu. On y entend le clapotis des barques et le pas léger des touristes ébahis. Chaque coin est une photo parfaite. Le déjeuner se fait en terrasse, dans une brasserie typique : flammekueche, salade vosgienne et un verre de Gewurztraminer, histoire de rester dans le ton. Puis, après le repas, on continue la découverte : le Palais Rohan, les quais, la place Kléber, les façades majestueuses de l’Europe moderne qui côtoient sans complexe les échos du Moyen Âge. Strasbourg est un mélange subtil d’ordonnancement allemand et de poésie française, un pont entre deux mondes. En fin de journée, je reprends la route vers Ostheim. Fatigué, oui, mais avec le cœur plein. Strasbourg m’a touché plus que je ne l’imaginais.

  Dîner à l’hôtel, puis nuit paisible. Demain, une autre page s’écrira, mais celle-ci restera longtemps dans ma mémoire.


  Le matin commence avec une belle surprise au petit déjeuner : un kouglof maison, encore tiède, saupoudré de sucre glace, à la mie moelleuse et aux raisins discrets. Un petit chef-d’œuvre à lui seul, accompagné d’un café fumant. Un vrai goût de dimanche matin, même un lundi. La journée débute par la visite de Colmar, et là, je dois le dire : c’est un coup de cœur absolu. À peine arrivé, je suis happé par l’harmonie des couleurs, l’élégance des maisons à colombages, les canaux bordés de géraniums et la douceur qui semble s’échapper des murs. Colmar, c’est une ville-musée, mais sans la froideur des vitrines : on s’y promène comme dans un rêve vivant, entre ruelles fleuries et pavés anciens. Chaque façade est une œuvre d’art, chaque enseigne un clin d’œil à une époque révolue. Je découvre la Petite Venise, ce quartier enchanteur où les canaux se glissent entre les maisons comme des rubans d’argent. Le calme y est presque religieux. Puis, au détour d’une place, le musée Unterlinden me rappelle que l’art sacré aussi a ses temples ici. Mais Colmar, ce n’est pas qu’un décor : on y sent la vie, le sourire des passants, la chaleur discrète des cafés, et cette impression unique d’être à la fois en voyage et chez soi. À midi, pause gourmande avec une flammekueche traditionnelle, croustillante, généreuse, dorée comme un coucher de soleil sur les Vosges. Simple, mais parfait. On en redemanderait. L’après-midi nous emmène plus au sud, à Meistratzheim, pour une visite originale et inattendue : une choucrouterie locale. Ici, tout sent le chou, le vinaigre, la terre et la tradition. On apprend comment on lave, sale, et fait fermenter ce légume humble mais essentiel à l’identité alsacienne. L’odeur est forte, mais derrière, il y a un savoir-faire vieux de plusieurs siècles, un respect du produit et du temps. Je ne verrai plus jamais une choucroute de la même manière. Sur le chemin du retour, arrêt à Ribeauvillé, l’un des plus beaux villages que j’ai vus jusqu’ici. C’est une symphonie de toits rouges, de ruelles médiévales et de détails charmants à chaque coin de rue. On y sent l’influence des seigneurs de Ribeaupierre, mais aussi celle des musiciens ambulants : la ville est surnommée "la cité des ménétriers", et l’ambiance y est légère, presque féerique. On lève les yeux, et trois châteaux en ruines dominent la vallée depuis les hauteurs boisées, comme des sentinelles endormies. Ribeauvillé, c’est la beauté sans prétention, l’Alsace dans toute sa poésie. La journée se termine en beauté avec une soirée folklorique. Danseurs en costumes traditionnels, musique alsacienne, accords de violon et de flûte, et surtout… un repas gargantuesque : baeckeoffe, spaetzle, kouglof, tarte aux myrtilles, vins locaux à volonté. On rit, on trinque, on tape des mains sur les tables, le cœur léger, le ventre plein. Puis vient la nuit, paisible comme toujours, avec le sentiment profond d’avoir touché à quelque chose d’authentique. L’Alsace ne triche jamais. Elle donne tout.


  Dernier petit déjeuner à Ostheim. Le kouglof est toujours là, moelleux, sucré, familier. Il accompagne un café un peu plus silencieux que d’habitude. Il y a ce petit pincement discret, celui qu’on ressent quand on quitte un lieu qui nous a offert plus que prévu. La route du retour commence tôt. On quitte l’Alsace en remontant le fil du voyage à l’envers, mais avec des yeux différents. On traverse à nouveau la Suisse, cette fois dans l’autre sens, en direction de Lugano. Le paysage change doucement : les forêts laissent place aux montagnes plus abruptes, puis aux palmiers timides du Tessin. Lugano, lovée au bord de son lac, est une parenthèse élégante, presque méditerranéenne. On s’y arrête le temps d’un café, les yeux perdus entre eau et ciel. Puis, cap vers le nord de l’Italie. Les routes s’enchaînent, les panneaux changent de langue, les paysages deviennent plus familiers, plus méridionaux. On traverse la plaine du Pô, puis les collines ligures, avant de retrouver le bleu éclatant de la Côte d’Azur. Les maisons prennent des tons ocres, la lumière devient plus chaude. La boucle est presque bouclée. En fin d’après-midi, arrivée à un hôtel proche de l’aéroport de Nice, dernière escale avant le retour définitif. Le voyage est terminé, ou presque. Le corps est fatigué, mais l’esprit est encore plein d’images : des cigognes en vol, des ruelles médiévales, des assiettes fumantes, des rires, des chansons. Ce soir, pas de folklore, pas de choucroute, pas de carte postale. Juste le calme d’une chambre d’hôtel, une valise un peu plus remplie qu’à l’aller… et le sentiment précieux d’avoir vécu quelque chose de vrai.


  Il y a des voyages qui vous changent, sans bruit, sans fracas. L’Alsace m’a pris par la main, et sans en avoir l’air, m’a laissé des empreintes au cœur. Dans le silence des villages, le chant des cigognes, la chaleur d’un plat partagé... j’y ai trouvé bien plus que du dépaysement, j’y ai trouvé un écho à ce que je suis. Chaque pierre, chaque sourire, chaque paysage semblait me dire : rappelle-toi de vivre lentement.


Et maintenant que je suis rentré, comme à chaque fois que je part en voyage, je ne suis plus tout à fait le même.



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