Née en 1560 dans l’aristocratie hongroise, Elizabeth Báthory grandit au cœur d’un monde où la richesse côtoie la cruauté. Issue d’une puissante famille alliée aux Habsbourg, elle reçoit une éducation raffinée, parlant couramment plusieurs langues. Mariée à 15 ans au noble Ferenc Nádasdy, elle administre seule ses terres durant les absences de son mari, parti guerroyer contre les Ottomans. Propriétaire d’un vaste domaine, elle commande à des centaines de serviteurs, et sa réputation d’intelligence et d’autorité la rend autant crainte que respectée. Mais derrière l’image austère de la châtelaine se cache une histoire bien plus noire, qui fera d’elle l’une des femmes les plus redoutées de l’Histoire. À la fin du XVIe siècle, des rumeurs commencent à circuler dans les villages autour du château de Čachtice, où Elizabeth réside. Des jeunes filles disparues, des cris dans la nuit, des cadavres retrouvés mutilés… Le personnel du château évoque d’étranges rituels, des sévices innommables et un goût sinistre pour la souffrance. La légende la plus célèbre veut qu’Elizabeth se baigne dans le sang de ses victimes pour conserver sa jeunesse. Si cette image macabre fascine autant qu’elle révulse, elle n’est pourtant attestée que bien plus tard, et probablement inventée pour renforcer l’aura monstrueuse de la comtesse. Ce qui semble certain, c’est que de nombreuses jeunes servantes ont péri entre les murs de son domaine, victimes de tortures raffinées et de meurtres brutaux.
Le nombre de victimes attribué à Elizabeth Báthory varie selon les sources : certains parlent d’une centaine, d’autres de plus de 600, chiffre gravé dans un prétendu registre retrouvé sur place. Mais les preuves directes manquent, et le procès qui s’ouvre en 1610 n’en est pas un au sens classique. Sans jamais être convoquée publiquement, Elizabeth est jugée par procuration : ses complices présumés, notamment ses domestiques, sont arrêtés, interrogés, souvent sous la torture, et exécutés. La comtesse, quant à elle, est emmurée vivante dans une pièce de son propre château, où elle meurt quatre ans plus tard, en 1614. Une fin sinistre, à l’image de la réputation qu’elle laisse derrière elle.
Il n’existe aucune preuve contemporaine que la comtesse se soit réellement baignée dans le sang de ses victimes. Les témoignages recueillis lors de l’enquête en 1610-1611 font bien état de tortures, de coups, de mutilations et d’humiliations, mais aucun document officiel ne mentionne ces prétendus bains de sang. L’image de la comtesse se gorgeant de fluide vital pour préserver sa beauté est apparue bien plus tard, notamment dans les écrits du XVIIIe siècle, puis dans les œuvres littéraires et gothiques du XIXe. C’est probablement le prêtre László Turóczi, qui écrit en 1729, plus de 100 ans après les faits, qui popularise cette idée macabre. L’époque est friande de récits sensationnalistes. Dans son récit, il imagine qu’Elizabeth, après avoir frappé violemment une servante, découvre que du sang sur sa peau rend sa chair plus douce, l’amenant à chercher une « fontaine de jouvence » humaine. Mais ce récit ne repose sur aucune source primaire fiable. Cette légende du bain de sang a sans doute été amplifiée pour des raisons politiques (discréditer une noble trop puissante), mais aussi culturelles : au XIXe siècle, l’Europe redécouvre les récits de vampires et les figures féminines déviantes. Báthory devient une incarnation vampirique, une sorte de comtesse Dracula, bien avant qu’Hollywood ne s’en empare. Ce mythe devient si fort qu’il éclipse la réalité, beaucoup plus complexe mais moins spectaculaire.
La figure d’Elizabeth Báthory n’a cessé de hanter la culture populaire. Elle apparaît dans des romans gothiques dès le XIXe siècle, puis dans des films, des séries, des jeux vidéo, des bandes dessinées. Elle inspire aussi le personnage de la vampire aristocratique, belle et cruelle, qui sacrifie des innocents pour prolonger sa jeunesse. Parfois décrite comme la version féminine de Dracula, elle devient l’icône sombre d’un certain féminisme noir, celui qui célèbre les femmes puissantes écrasées ou diabolisées par l’histoire. Symbole de transgression, elle incarne l’ambiguïté d’un personnage que nul ne parvient à cerner complètement.
Aujourd’hui encore, les ruines du château de Čachtice, situées en Slovaquie, attirent les curieux. On y organise des visites guidées sur les traces de la comtesse sanglante. Des statues, des films et des romans continuent à faire vivre son mythe. Le nom d’Elizabeth Báthory résonne comme une énigme : était-elle une simple meurtrière, une victime de son temps, ou la première tueuse en série documentée de l’histoire européenne ? Ce qui est certain, c’est que son histoire, à la frontière entre vérité et cauchemar, continue de fasciner et de glacer le sang.
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