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18 avril 2025

Culture : Le château de Chillon, en Suisse







  Le Château de Chillon est perché sur un îlot rocheux, bordant les rives du lac Léman. Il semble surgir des eaux comme une forteresse figée dans le temps. Dès l’Antiquité, cet étroit passage entre la rive du lac et les Alpes constituait un point de contrôle stratégique pour les voyageurs, les marchands, et les armées. Situé à la croisée des routes commerciales entre le nord et le sud de l’Europe, le château permettait de surveiller et taxer le trafic fluvial et terrestre. Il devient ainsi une véritable sentinelle du Léman, indispensable au contrôle de la région.


  Les comtes puis ducs de Savoie l’ont compris très tôt, en fortifiant Chillon, ils y affirmaient leur autorité sur les territoires de Vaud et assuraient la défense de leurs possessions alpines. La forteresse devient au fil des siècles un bastion militaire, une résidence noble et une prison d’État, capable de résister aux assauts et de dominer les alentours. Vue du lac, la silhouette massive du château, avec ses tours crénelées, ses toitures rouge brique et ses murailles solides, impose le respect. Elle incarne à elle seule l’autorité féodale et la puissance territoriale, tout ça dans un décor naturel à couper le souffle. Aux mains des comtes de Savoie dès le XIIe siècle, Chillon était une pièce maîtresse de leur politique d’expansion. Sa fonction première : contrôler le trafic marchand sur le lac et imposer des taxes. Il passe ensuite sous le joug des Bernois au XVIe siècle, devenant un symbole de domination protestante sur un pays de tradition catholique. Chillon reflète ainsi les rivalités politiques, religieuses et économiques de la région, jusqu’à son intégration paisible dans le canton de Vaud au XIXe siècle.


  Le château n’a pas seulement vu passer des soldats, il a aussi inspiré des légendes et d’étranges récits. Le plus célèbre des récits est celui de François Bonivard, emprisonné dans les souterrains par les Savoie. Dans les profondeurs du château, une colonne de pierre porte encore aujourd’hui la marque circulaire et profonde d’une chaîne. Elle rappelle l’emprisonnement de François Bonivard, moine genevois et homme de lettres, capturé par les Savoie en 1530 pour avoir soutenu la Réforme. Il restera six ans enfermé dans les souterrains de Chillon, enchaîné à cette colonne, contraint à tourner en rond jour après jour. Cette usure visible dans la pierre est à la fois un témoignage bouleversant de la détention et un symbole de résistance. La légende veut que Bonivard ait usé la colonne à force de tourner, une image puissante, entre fait réel et mythe romantique. Lord Byron, en visite en 1816, fut si frappé par cette scène qu’il grava son nom dans un pilier du château (graffiti toujours visible, et des écrivains suisses du XIXe siècle ont accusé Byron de "vandalisme poétique". Et il y écrivit son célèbre poème "Le Prisonnier de Chillon". 


  Extrait du poème "Le Prisonnier de Chillon", par Lord Byron :

Mes cheveux sont gris, mais non par les années,
Ils n'ont pas blanchi en une seule nuit,
Comme ceux des hommes saisis par des frayeurs soudaines :
Mes membres sont courbés, mais non par le labeur,
Mais rouillés par un repos infâme ;
Car ils ont été la proie d'un cachot,
Et le mien a été le sort de ceux
À qui la bonne terre et l'air sont interdits,
Et barrés – un festin défendu ;
Mais c'était pour la foi de mon père
Que j'ai souffert des chaînes et courtisé la mort ;
Ce père périt sur le bûcher
Pour des principes qu'il ne voulait pas renier ;
Et pour les mêmes, sa lignée
A trouvé une demeure dans l'obscurité ;
Nous étions sept – qui maintenant ne sommes qu'un,
Six dans la jeunesse, et un dans la vieillesse,
Terminés comme ils avaient commencé,
Fiers de la rage de la persécution ;
Un dans le feu, et deux sur le champ de bataille,
Ont scellé leur croyance avec leur sang,
Mourant comme leur père est mort,
Pour le Dieu que leurs ennemis niaient ; –
Trois furent jetés dans un cachot,
Dont cette épave est le dernier vestige.


  Certaines légendes parlent de gémissements dans les couloirs ou d’un fantôme marchant près des murs humides. Mythes ou mémoire collective, ces légendes nourrissent le charme noir de Chillon. Ce n’est pas qu’un monument figé, c’est un lieu où l’imaginaire collectif s’est imbriqué dans la pierre. Entre ses murs, le politique et le symbolique cohabitent. La forteresse évoque aussi bien les tensions de l’Europe médiévale que les passions romantiques du XIXe siècle.

  Lors d’un siège du château au XIVe siècle, un chevalier savoyard refusait la reddition aurait défié les assiégeants depuis les remparts, criant que "Chillon ne tombera jamais tant que ses pierres tiendront debout". La légende veut qu’il ait été foudroyé dans la tour centrale lors d’un orage peu après cette provocation, ce qui a renforcé l’idée d’une malédiction divine pour l’orgueil trop fort. La tour a depuis gardé une réputation un peu sombre auprès des gens du château.

  Une vieille rumeur locale raconte qu’une "dame blanche" hanterait les couloirs du château. Il s’agirait de la fille d’un noble de Savoie, morte de chagrin après avoir été enfermée par son père pour avoir aimé un homme de basse naissance. On dit que son voile blanc a été vu flotter dans la chapelle certains soirs de brouillard. Les gardiens modernes évoquent encore parfois des bruits étranges dans les escaliers en colimaçon.

  Il y a même des légendes de trésors cachés dans le lac ou sous le château... 


  Aujourd’hui encore, en approchant Chillon par bateau, on comprend immédiatement pourquoi ce lieu a fasciné autant de voyageurs, de poètes, d’artistes et d’écrivains : à la fois gardien du passé et joyau médiéval, le château demeure un symbole de vigilance et de grandeur au bord des eaux tranquilles du Léman. Le château accueille expositions, reconstitutions et visites diurnes et nocturnes, prolongeant cette alliance unique entre faits historiques et contes populaires.


  Visiter Chillon, ce n’est pas seulement découvrir un beau château, c’est marcher dans les pas des puissants, des prisonniers, des soldats et des poètes. C’est aussi entendre les échos d’une époque où l’architecture dictait l’ordre du monde, et où les murs pouvaient parler. Un lieu idéal pour celles et ceux qui aiment voyager à la croisée du réel et de l’imaginaire.



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