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19 avril 2025

Anthropologie : Les Amish d'Amérique du Nord









  Le mouvement Amish nait dans l’Europe du XVIIe siècle, en plein cœur d’une période troublée par les mouvements religieux non conformistes et les guerres de religions. Il germe d’une des multiples scission au sein des Mennonites, eux mêmes issus des Anabaptistes (une branche du protestantisme radical) qui prônaient le baptême des adultes, la non-violence et une séparation stricte entre Église et État. C’est autour de Jakob Amman, un prédicateur suisse né vers 1644, que le courant amish se forme. Amman prônait une application beaucoup plus stricte des Saintes Écritures et une discipline communautaire rigoureuse, notamment via la pratique du "Meidung" qui consiste au bannissement social temporaire des membres jugés trop laxistes. Ce point fut l’un des principaux motifs de rupture avec les Mennonites, jugés trop souples sur certains principes. Comme beaucoup de groupes religieux dissidents, les Amish furent persécutés dans tout les territoires où ils vivaient (Suisse, Alsace, sud de l'Allemagne, etc). Car ils refusaient de prêter serment, de porter les armes ou de se plier aux autorités ecclésiastiques dominantes, ils étaient très mal tolérés. Au XVIIIe siècle, de nombreuses familles Amish décident d’émigrer en Amérique, attirées par la tolérance religieuse promise en Pennsylvanie par William Penn, fondateur de la première colonie Amish et membre des Quakers. La première vague d’immigration amish date des années 1720. 


  Les Amish se sont principalement installés dans des régions rurales, propices à leur mode de vie agricole et communautaire. On pense que 95% des Amish dans le monde vivent dans trois états américains, l'Indiana, l'Ohio, et surtout la Pennsylvanie. Ces communautés, restent relativement fermées à l’extérieur, elles ont prospéré lentement mais sûrement, en gardant une cohésion sociale forte, une foi profondément ancrée, et en refusant les évolutions technologiques du monde moderne. Les Amish vivent en marge du monde moderne, selon des règles précises dictées par leur foi, leur communauté, et un idéal de simplicité. Leur quotidien repose sur une logique très simple, c'est à dire, vivre humblement, en harmonie avec Dieu, la nature, et la communauté.


  Chaque communauté amish peut avoir ses propres règles, certaines étant plus strictes que d’autres. On parle alors d’Old Order ou de New Order Amish. Chaque communauté suit un code de conduite oral, qu'ils appellent "Ordnung" il est propre à chaque communauté. Il régit tous les aspects de la vie, habillement, travail, outils autorisés, rapports sociaux, etc. A la base, les Amish sont des chrétiens Anabaptistes, ce qui signifie qu’ils rejettent le baptême des nourrissons et prônent une foi adulte, consciente et choisie. Leur religion repose sur la lecture de la Bible, le pacifisme (refus de faire la guerre, et même refus du service militaire), l’absence de hiérarchie religieuse formelle. Et surtout l'humilité, la modestie, et la soumission à la communauté. Ils rejettent aussi toutes ostentations, l’individualisme, et l’idée de s’élever au-dessus des autres "ce qu’ils appellent "Hochmut" (l’orgueil), le contraire de le "Demut" (l'humilité), une valeur principale. Les Amish refusent la plupart des technologies modernes car elles menacent l’intégrité de la communauté. La voiture, par exemple, rend possible l’individualisme et l’éloignement, la télévision ou Internet peuvent introduire des valeurs jugées néfastes. Cependant, ce n'est pas un refus total, certains outils sont parfois tolérés comme le tracteur, le téléphone à l'extérieur de la maison, etc.. Tout dépend du degré de rigueur de la communauté locale. Les Amish sont souvent perçus comme des opposants radicaux à toute forme de technologie. Mais la réalité est plus nuancée, faite de refus sélectifs, des choix communautaires mûrement réfléchis, et parfois des compromis. Toute technologie qui menace l’unité, la simplicité ou la foi de la communauté doit être rejetée. Ils refusent par exemple : l'électricité du réseau public, les voitures, le téléphone à la maison, la télévision, internet, les appareils électroménagers modernes. Le problème n’est pas tant la technologie en elle-même, mais c'est l’effet qu’elle produit sur la cohésion sociale et spirituelle. Ils observent avec attention les avancées modernes, et dans certains cas, les adoptent s’ils servent l’intérêt du groupe. Certains Amish ont développé des sites web commerciaux gérés par des personnes extérieur à leur communauté. Le e-commerce est parfois utilisé, indirectement, pour vendre les produits artisanaux. Etc... La technologie n’est pas un mal en soi, c’est son impact social et spirituel qui compte. Le rapport à la technologie repose sur un équilibre permanent entre tradition et adaptation. Ce sont des décisions collectives, prises en concertation, avec un souci constant qui est de rester fidèle à leur foi sans céder à la tentation du progrès inutile.


  Contrairement à bien des groupes religieux ou ruraux en déclin, les Amish voient leur population augmenter régulièrement. Grâce à un taux de natalité élevé, et un faible taux de départ volontaire, la communauté double environ tous les 20 ans. Elle s'étend désormais à plus de 30 États américains et commence même à s’implanter à l’international comme au Canada, au Brésil, etc... Ils ne se contentent pas de survivre dans un monde moderne, au contraire, ils prospèrent, à leur manière. Leur refus du superflu ne les rend pas fragiles, bien au contraire, il les protège des crises économiques, des complexités modernes ou de l’isolement social. La force des Amish repose sur des choix radicaux mais cohérents, c'est à dire, une vie sans dette, une consommation limitée, une entraide communautaire et systématique, une transmission forte des valeurs par l’éducation. Beaucoup de gens voient dans le mode de vie amish une source d’inspiration, écologique par leur sobriété et leur peu de consommation, leur solidarité locale qui contraste avec l'individualisme contemporain... Et surtout leur autonomie vis-à-vis du système global et de la mondialisation qui fascine de plus en plus. Bien sûr, ce modèle n’est ni parfait ni universel. Il repose sur une discipline communautaire très stricte, une forte hiérarchie patriarcale et des renoncements que peu de gens accepteraient. Mais leur capacité à maintenir une société stable, viable et harmonieuse depuis plus de trois siècles interpelle. La communauté Amish est en retard sur le monde ou en avance sur ses limites ?


  Les Amish vivent souvent de l’agriculture, mais aussi de l’artisanat, de la construction, ou encore de petites entreprises familiales de type ébénisterie, boulangerie, menuiserie. Les produits alimentaires amish comme leurs fromages, beurres et confitures jouissent d’une réputation d’authenticité. Ces produits là sont souvent faits sans électricité, à la main, et se vendent à prix d’or sur les marchés bio ou auprès des épiceries fines. Le travail manuel est valorisé, et l’économie repose sur l’autonomie. L’entraide est essentielle, en cas de maladie, d’accident, et pour construire une maison ou une grange, toute la communauté se mobilise. Les familles sont nombreuses, entre six et dix enfants par famille, qui vont dans des écoles Amish jusqu'à 14 ans. L’éducation Amish met l’accent sur la lecture, l’écriture, le calcul et l’intégration dans la communauté.


  Les vêtements amish sont uniformes, modestes, pour les femmes, des robes longues, tabliers, coiffes blanches. Pantalons à bretelles, chemises unies et chapeaux de paille pour les hommes. Pas de boutons mais des crochets, ils ne portent pas de bijoux ni de motifs, rien d'ostentatoire,


  Afin de devenir pleinement Amish, et d'être baptisé, les adolescents passent par le "Rumspringa". Le mot "Rumspringa" vient du dialecte Pennsylvania Dutch et signifie littéralement "courir autour" ou "errer". Il désigne une période charnière dans la vie des jeunes Amish, souvent méconnue ou mal comprise à l'extérieur. C'est un sas entre adolescence et engagement religieux. Il commence généralement autour de 16 ans. C’est une "période de liberté" relative pendant laquelle les jeunes Amish peuvent, s’ils le souhaitent, explorer certains aspects du monde extérieur. 

  Voici une liste de tout ce que les jeunes Amish peuvent faire pendant le Rumspringa. 

- Sortir en boite,

- Danser,

- Ecouter de la musique moderne,

- Fréquenter des non-amish,

- Porter des vêtements non-amish,

- Conduire une voiture,

- Avoir un téléphone portable,

- Goûter à l’alcool et à la cigarette.

  Cependant, cette période n’est pas encadrée partout de la même façon dans toutes les communautés, certaines tolèrent beaucoup, et d'autres sont très strictes. Dans les groupes les plus conservateurs, le Rumspringa donne des possibilités très limité. Malgré cette fenêtre de liberté, environ 90 % des jeunes choisissent de rester dans la communauté (par attachement à la famille et à la communauté, par la crainte de l'isolation sociale, à cause des valeurs ancrées depuis l’enfance, etc...). 

  À l’issue du Rumspringa, les jeunes doivent décider de se faire baptiser dans la foi Amish. Ce choix est fondamental, car une fois baptisé, quitter la communauté est perçu comme une vraie rupture, avec exclusion à la clé. Pour les Amish, la foi n’a de valeur que si elle est choisie en toute conscience. Ce n’est pas une "fête sauvage" mais un test spirituel et identitaire. Il permet aux jeunes de mesurer par eux-mêmes la différence entre deux modes de vie, afin de faire un choix librement consentit.


  Anecdotes : En 2020 dans l’Ohio, la police a tenté d’arrêter deux jeunes Amish en état d’ébriété à bord d’une calèche lancée à vive allure ! En s’approchant, les agents ont découvert une sono géante et de l’alcool à bord. Les deux jeunes ont fui dans la forêt, abandonnant cheval et véhicule. Un épisode aussi absurde que révélateur de la tentation de la modernité chez certains jeunes Amish.



  Pour les anciens, c'est encore très différent de la société occidentale moderne. Dans la société moderne où la vieillesse rime souvent avec solitude, dépendance ou institutions spécialisées, les Amish offrent un modèle profondément différent, fondé sur l’intégration des anciens au cœur de la vie communautaire. Il n'y a pas de maisons de retraite, c'est la famille avant tout. Chez les Amish, les personnes âgées restent dans leur cercle familial. Lorsqu’elles ne peuvent plus vivre seules, elles s’installent généralement chez leurs enfants, ou dans une petite maison construite à proximité immédiate, souvent appelée un "Dawdihaus" (traduire : maison du grand-père). Ce système permet aux anciens de garder leur autonomie tout en étant entourés. Ils participent encore, tant qu’ils le peuvent, à la vie quotidienne à travers le jardinage, la couture, la garde des petits-enfants, etc.... Contrairement à certaines sociétés où l’âge affaiblit la position sociale, les aînés Amish gagnent en prestige avec les années. La vieillesse est perçue comme une étape de sagesse et de transmission, et non comme une fin de parcours. En cas de soucis de santé, sans assurance retraite, ni sécurité sociale au sens moderne, les Amish s’appuient sur la famille élargie (soutien logistique et financier), la communauté (en cas de besoin, les voisins interviennent, organisent des collectes ou des journées de travail collectif) et ils ont accès à des fonds d'entraide locaux (alimentés par des dons ou des ventes artisanales). Cette solidarité concrète garantit que personne n’est laissé pour compte, même en cas de maladie ou de dépendance. La mort est acceptée comme une étape naturelle du cheminement chrétien. Les soins palliatifs sont assurés à domicile, et les funérailles sont simples, sans aucune ostentation. L’accent est mis sur la paix intérieure, la foi, et le soutien des proches.


  Les Amish exercent une fascination continue sur le grand public, en particulier en Occident, où leur mode de vie semble appartenir à un autre temps. Ils sont à la fois mystifiés, idéalisés ou moqués, et souvent mal compris. Dans certains récits, les Amish sont vus comme des gardiens de valeurs perdues. Des valeurs tels, la simplicité, l'entraide, la sobriété, la paix, etc.. Autant de concepts qui séduisent dans un monde moderne perçu comme chaotique. Pour beaucoup, ils forment une sorte de "rébellion silencieuse" contre la modernité, sans violence ni discours agressif. Mais à l'inverse, d’autres représentations tombent dans la moquerie ou l’exagération... Un accent mis sur leur refus du progrès comme signe d’archaïsme, la confusion entre Amish et sectes, une vision naïve ou comique de leur mode de vie. Certains exploitent cette différence comme une curiosité exotique, réduisant leur culture à une "attraction" parfois touristique. Dans les régions comme la Pennsylvanie, l’Ohio ou l’Indiana, les "pays amish" sont devenus des destination touristique à part entière, avec balades en calèche, visites de fermes et de marchés, hôtels décorés "à l’ancienne", musées, spectacles, etc.. Ce tourisme, bien que surveillé par les Amish eux-mêmes (qui ne souhaitent pas être photographiés ou observés comme dans un zoo humain), participe à entretenir leur image mythifiée, et à générer des revenus non négligeables pour certains d'entre eux. 


  Dans un monde saturé de notifications, de promesses d’instantanéité et d’ultra connectivité, les Amish nous tendent un miroir à contre-courant. Ils ne fuient pas le progrès par ignorance, mais par choix. Leur refus de certaines technologies n’est pas un rejet de la modernité en soi, mais une tentative radicale de préserver l’humain, la communauté, le sens. Ils vivent sans luxe, mais pas sans richesse. Sans réseaux, mais jamais seuls. Leur société, fondée sur des piliers que notre époque fragilise, la famille, la foi, l’entraide, la sobriété, elle défie les prédictions. Ils ne disparaissent pas, au contraire, ils grandissent. En 2025, on estime qu’il y a environ 400 000 Amish dans le monde, en 2050 ils seront à peux près à un million de personnes.

  Et si, à leur façon, ils étaient les gardiens silencieux d’une écologie de l’âme que nous avons perdue ? 



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