Pendant la Seconde Guerre mondiale, la victoire semblait aussi se jouer dans les laboratoires. Parmi les substances les plus emblématiques utilisées par le régime nazi figure la Pervitine, une amphétamine synthétique distribuée massivement aux troupes allemandes. Ce petit comprimé blanc, présenté à l’époque comme une "vitamine miracle", allait transformer le comportement et la résistance des soldats allemands, pour le meilleur, puis rapidement pour le pire.
La Pervitine est mise au point en 1937 par les laboratoires Temmler Werke, basés à Berlin. En 1938, elle est mise sur le marché comme médicament en vente libre, vantée comme un remède contre la fatigue, la dépression et même les douleurs menstruelles. Mais très vite, la Wehrmacht comprend son potentiel militaire. Les soldats sous Pervitine restent éveillés plus de 24 heures, endurent les marches forcées, et exécutent les ordres avec une concentration et une agressivité accrues.
Pendant la campagne de France en 1940, des dizaines de millions de comprimés sont distribués aux troupes. Les soldats allemands avancent jour et nuit, sans repos, écrasant les défenses françaises avec une rapidité déconcertante. Le général Rommel, chef de la 7e Panzerdivision, aurait fait distribuer des doses à ses hommes pour maintenir leur rythme effréné. La drogue devient une arme tactique autant qu’un dopant. La Blitzkrieg, la "guerre éclair", se déroule aussi dans le système nerveux. Les effets de la Pervitine sont fulgurants, mais pas sans conséquences. Très vite, les médecins militaires observent des crises de paranoïa, des hallucinations, de l’insomnie chronique, et même des accès de violence incontrôlée. De nombreux soldats tombent dans une dépendance sévère et souffrent de syndromes de manque.
Face à ces effets secondaires, le commandement allemand tente de restreindre son usage à partir de 1941. Une version combinée avec un sédatif, appelée D-IX, est même testée dans les camps de concentration, notamment à Sachsenhausen, sur des prisonniers forcés de marcher jusqu’à l’épuisement.
Le rôle de la Pervitine au sommet du pouvoir nazi reste débattu. Le médecin personnel d’Hitler, Theodor Morell, lui administrait régulièrement des cocktails de vitamines, hormones, et autres substances. Plusieurs sources indiquent que des injections de méthamphétamine faisaient partie du traitement du Führer à partir de 1943, ce qui pourrait expliquer certaines de ses décisions totalement irrationnelles lors de la fin de la guerre. Après 1945, la Pervitine est interdite dans la plupart des pays, mais son histoire reste une leçon troublante sur l’alliance entre science, guerre et pouvoir. Elle préfigure les problèmes de dopage militaire modernes et les dérives des psychotropes dans un contexte politique de contrôle absolu.
Après la capitulation de l’Allemagne nazie, des millions de comprimés de Pervitine restaient en circulation, entre les stocks non détruits et les réserves personnelles. Dans l’Allemagne en ruines, marquée par la faim, la fatigue et la peur, la Pervitine devient une drogue de survie. Ouvriers, mères de famille épuisées, étudiants ou anciens soldats s’en procurent "sous le manteau", espérant quelques heures d’énergie ou d’évasion. Sur le marché noir, elle circule librement, parfois sous d’autres noms, parfois vendue à la découpe comme une pseudo-vitamine ou un coupe-faim. Ce trafic est toléré pendant un temps, puis progressivement réprimé à mesure que l’opinion publique prend conscience de ses effets addictifs. En RDA comme en RFA, les autorités médicales classent officiellement la Pervitine comme substance dangereuse dans les années 1950, et elle disparaît peu à peu du paysage légal, mais non sans avoir laissé des traces durables dans les corps et les mémoires.